Yakafokon : « Les banques doivent sortir du charbon »

Pour les banques, une sortie complète et immédiate du charbon n’est pas l’approche qui a le plus d’impact, ni la plus réaliste

Les banques en ligne de mire

Le charbon, dont les centrales représentent environ 30 % des émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie, est considéré comme l’ennemi numéro 1 du climat. Depuis la ratification de l’Accord de Paris par la quasi-totalité des pays du monde en 2015, le secteur financier dans son ensemble, et les banques en première ligne, font face à une injonction de « sortie immédiate du charbon ».

La plupart des banques françaises ont clarifié leur stratégie à cet égard en 2020, poussées par des études soulignant la grande disparité de leurs ambitions. Leurs engagements proposent notamment d’exclure, c’est-à-dire d’arrêter de financer : les entreprises qui développent de nouvelles mines, centrales, ou infrastructures liées au charbon thermique, les entreprises impliquées dans la production d’électricité à partir de charbon, celles dont le chiffre d’affaires est tiré du charbon à plus de 25 % et qui n’ont pas de stratégie « crédible » de sortie du charbon, etc. Ces différentes natures d’exclusion soulignent à elles-seules la diversité des situations, et la difficulté d’appliquer uniformément une solution drastique.

Une chose après l’autre

L’exclusion totale immédiate n’est pas réaliste. Le portefeuille de financement actuel des banques est tout d’abord le reflet de l’économie telle qu’elle est, et contient par ailleurs des prêts accordés il y a plusieurs années et courant encore sur 10 ou 20 ans. Les établissements vivent en effet avec un héritage de clients qu’ils doivent maintenant accompagner vers une transition, ou une exclusion. L’exclusion doit être privilégiée lorsqu’aucune transition n’est possible, par exemple pour la construction de nouvelles centrales à charbon. L’étau est d’ailleurs déjà en train de se resserrer : en Pologne (pourtant État défenseur du charbon), la construction d’une centrale à charbon ultra moderne vient d’être abandonnée faute de financeurs, investisseurs, et assureurs.

Par ailleurs, il serait contreproductif d’exclure totalement des entreprises multi-activités. Certaines entreprises très exposées au charbon investissent aussi beaucoup dans le renouvelable. C’est le cas de RWE, plus gros émetteur de CO2 en Europe. Le géant allemand de l’électricité prévoit de maintenir en activité ses centrales au lignite jusqu’en 2038, mais il s’agit également d’un acteur majeur des énergies renouvelables en devenir, ce qui pourrait justifier de continuer à financer ses activités vertes. Glencore, géant des matières premières, pourrait ne plus être financé dans ses filiales charbon, mais continuer à l’être dans le secteur de l’agriculture ou de l’extraction de cuivre, un minerai utile à la transition énergétique.

La temporalité du choix de l’accompagnement à la transition ou de l’exclusion est par ailleurs cruciale en fonction du mix énergétique de chaque pays. Certaines banques ont par exemple choisi de sortir du charbon en 2030 dans les pays de l’OCDE, et en 2040 dans le reste du monde, pour ne pas pénaliser des pays sans alternatives. Elles peuvent en revanche maintenir la pression et se mettre au diapason des politiques publiques pour progressivement engager les États à modifier ce mix énergétique.

La banque 2.0, moteur de la transition

Arrêter de financer le charbon du jour au lendemain n’est pas l’alpha et l’oméga. Pour être les moteurs de cette transformation, les banques doivent en parallèle continuer de proposer des produits et services dédiés à la transition énergétique (offres de financement de projets bas-carbone, sensibilisation et accompagnement des clients dans leur transition), et basculer la part de financement du fossile vers les énergies renouvelables, notamment en appliquant un bonus/malus sur les taux accordés, en fonction de l’impact sur la transition. Surtout, elles doivent procéder au cas par cas, pour ne pas arrêter de financer sans discernement les entreprises multi-activités et les accompagner dans leur transformation.

Au-delà des banques, c’est tout le secteur financier qui est concerné par cette « sortie du charbon » : les gestionnaires d’actifs en arrêtant d’investir, et les compagnies d’assurance en arrêtant d’investir et d’assurer. La même nécessité du cas par cas s’applique pour eux. L’exclusion des portefeuilles d’investissement a l’inconvénient de stopper tout dialogue, là où l’engagement actionnarial permet de faire bouger la stratégie des entreprises en portefeuille.

Même si l’on souhaiterait voir les choses bouger plus vite, les banques françaises font figure d’exemple à l’international. La place de Paris est influente, et pourvue d’un corps législatif en avance sur ces questions (Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte de 2015, Loi Énergie-Climat et Loi Pacte de 2019, etc.). Au niveau européen, la taxonomie va enfin donner un langage commun pour qualifier les activités vertes et de transition. Elle devrait aussi permettre aux banques, poussées par les obligations de transparence, de réorienter les financements vers une économie réellement alignée avec les Accords de Paris.

Yaël Zylberberg, Directrice Conseil, GreenFlex