Plus de gnous et moins de feux de forêts

Le Congrès mondial de la nature a rappelé que le vivant offre des solutions pour transformer nos modèles, et en particulier lutter contre le réchauffement climatique. Pour se saisir de cette opportunité, il est urgent que les acteurs économiques connaissent et prennent mieux en compte la multitude d’interactions à l’œuvre dans nos écosystèmes

Le Congrès mondial de la nature a rappelé que le vivant offre des solutions pour transformer nos modèles, et en particulier lutter contre le réchauffement climatique. Pour se saisir de cette opportunité, il est urgent que les acteurs économiques connaissent et prennent mieux en compte la multitude d’interactions à l’œuvre dans nos écosystèmes.

Une économie dépendante du vivant

Le Congrès mondial de la nature s’est tenu à Marseille du 3 au 11 septembre 2021, pour relancer la mobilisation en faveur du vivant. Porté par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), l’événement a rappelé la nécessité de hisser la crise de la biodiversité au même niveau que celle du climat. Le passage à l’action face à l’effondrement des écosystèmes accuse en effet un retard conséquent, tandis que l’urgence de décarboner notre économie semble réussir à s’imposer dans le débat public et le monde des affaires, grâce à l’impulsion de la COP21, puis la mobilisation citoyenne des trois dernières années.

Alimentation, énergie, cosmétiques, textile, matériaux de construction… nos modes de production et de consommation reposent sur la nature, et les risques de sa dégradation sont colossaux pour les acteurs économiques. La Banque de France vient d’ailleurs de publier une étude, qui estime que 42 % du montant des actions et obligations détenues par des institutions financières françaises proviennent d’entreprises très dépendantes de la nature. Le congrès a montré que la prise de conscience gagnait du terrain parmi les grandes entreprises. Pour la première fois, un sommet des PDG s’y est tenu. Toutefois, il faudra redoubler d’efforts pour que les engagements aillent jusqu’à transformer les modèles en profondeur.

Biodiversité et climat, même combat

Si l’UICN a mis à jour les listes des espèces menacées pendant le congrès, la lutte pour le vivant dépasse largement la reconstitution d’une Arche de Noé. L’avance relative sur le climat doit servir à ne pas répéter nos erreurs. Dès maintenant, adoptons les bons réflexes dans le combat pour la biodiversité. Cherchons, par exemple, à réduire les dommages, réparer et contribuer, avant de compenser. S’agissant du climat, la compensation carbone ne doit intervenir qu’après la diminution drastique des émissions. Il en va de même pour la biodiversité : on ne peut remplacer 10 orangs-outangs en replantant du corail. Il faut avant tout cesser de nuire, et reconnaître la valeur de toutes les synergies à l’œuvre dans nos écosystèmes.

Passer par une approche plus systémique nous permettra de voir les nombreuses externalités positives que la régénération du vivant a à nous apporter. Depuis la publication commune du GIEC et de l’IPBES en juin dernier, s’installe en particulier l’idée que carbone et biodiversité sont indissociables. Rétablir les écosystèmes, c’est agir pour le climat, notamment en restaurant ou préservant des puits de carbone (reforestation raisonnée, pratiques agroécologiques ou d’agroforesterie, protection du phytoplancton des océans, etc.). L’UICN a rappelé que ces « solutions fondées sur la nature » pourraient assurer environ 30 % des efforts de réduction des émissions requis d’ici à 2030. À l’inverse, dégrader les écosystèmes, c’est donc renforcer la crise climatique.

Christine Lagarde elle-même a insisté sur l’urgence de considérer le climat et la biodiversité « comme les deux faces d’une même pièce », lors de son allocution à l’UICN*. Il est enthousiasmant que cette opportunité se diffuse rapidement dans les esprits. Toutefois, son succès dépendra d’une connaissance bien meilleure de nos impacts réels sur la biodiversité, et d’une vision d’ensemble des synergies en jeu.

Connaître les synergies du vivant et lutter efficacement pour le climat

Le congrès organisé à Marseille a aussi été l’occasion d’inviter à une réorientation de la finance, pour mieux prendre en compte le prix des dommages causés à la nature, comme celui des services qu’elle nous rend. Avoir une carte complète de ces impacts, positifs comme négatifs, est une condition sine qua non pour rediriger les flux financiers et l’ensemble de notre économie.

Nos outils sont eux-mêmes très orientés sur les dégâts et peuvent passer à côté des externalités positives. L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) est notamment l’outil le plus complet à date pour mesurer l’empreinte environnementale globale d’un produit, et tout au long de sa chaîne de valeur. Pourtant, elle ne rend pas forcément compte des services rendus par les haies plantées ou les espaces de prairies sanctifiées. De même, dans l’élevage, par exemple, les systèmes intensifs de production ont paradoxalement des bilans moins lourds que les systèmes extensifs. L’impact (qualité de l’eau, usage des sols, GES…) est rapporté à la quantité de produit fini et ne prend pas toujours en compte les externalités positives (stockage de carbone, valorisation des espaces, production d’énergie, diminution des intrants de synthèse…).

Par définition, le vivant est mouvant et met donc la standardisation à rude épreuve. Les interactions sont si riches qu’on peine à toutes les identifier, et les effets dépendent de chaque milieu. En Tanzanie, les gnous évitent par exemple la propagation des feux de forêts, en sélectionnant certaines herbes pour se nourrir, rendant ainsi un service difficilement quantifiable. Ainsi, les entreprises doivent apprendre à connaître leur chaîne de valeur et raisonner en impacts localisés. Elles pourront aussi s’appuyer sur des multi-experts, capables de relier les enjeux, les secteurs, d’anticiper les conséquences de ces actions et de les adapter aux écosystèmes locaux.

Le congrès de l’UICN s’est conclu par un appel à une reprise post-pandémie fondée sur la nature. Espérons que les acteurs économiques donneront corps à cette intention, lors des deux rendez-vous majeurs de l’automne : la première rencontre virtuelle de la COP15 biodiversité, puis la COP26 climat.

* UICN : Appel à la mobilisation de la finance pour la biodiversité comme sur le climat – Novethic