Qu’est-ce que la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) ?

Alors que l’érosion de la biodiversité devient de plus en plus préoccupante, la TNFD propose un cadre pour aider les entreprises à évaluer et communiquer leurs opportunités et risques financiers liés au vivant.

TNFD : définition

Origine de l’initiative

La TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) est une initiative internationale lancée en 2021. Inspirée de la TCFD (Taskforce on Climate-related Disclosures), son équivalent pour le climat, la TNFD a été créée pour aider les entreprises et les institutions financières à évaluer, suivre et publier les opportunités et risques financiers liés à la nature.

Fonctionnement et gouvernance

Le groupe de travail principal est constitué de 40 membres issus du secteur privé (grandes banques, compagnies d’assurance mondiales, fonds d’investissement, multinationales).

Différentes parties prenantes sont associées aux travaux, notamment les quatre partenaires fondateurs (PNUD (Programme des Nations unies pour le développent), UNEP-FI (Initiative financière du programme des Nations unies pour l’environnement), WWF et Global Canopy) et les bailleurs de fonds principaux, qui guident le groupe de travail. Des experts de toutes disciplines sont également consultés, dont l’AFD, le CDP, l’EFRAG, le GRI, ISSB, l’UICN, l’OCDE, le SBTN, etc.

La TNFD est financée par des gouvernements (plusieurs pays européens, Japon, Etats-Unis…), ainsi que des fondations.

Vue aérienne d'une mangrove

Quels sont les objectifs de la TNFD ?

Enjeux économiques et financiers liés à la biodiversité pour les entreprises

Le vivant rend de nombreux services à notre société et notre économie, parmi lesquels :

  • Les services d’approvisionnement: ce sont les produits obtenus à partir des écosystèmes (ex. eau douce, matières premières) ;
  • Les services de régulation: ils maintiennent les conditions favorables à la vie (ex. pollinisation des cultures par les insectes, régulation du climat par les forêts et les zones humides, contrôle des maladies par les prédateurs naturels) ;
  • Les services de soutien: ils sont nécessaires à la production de tous les autres services écosystémiques (ex. formation des sols, cycle des nutriments, photosynthèse) ;
  • Les services culturels: ils procurent des bénéfices non matériels aux personnes (ex. loisirs, écotourisme).

La perte des services écosystémiques augmente les coûts opérationnels et perturbe les chaînes d’approvisionnement. On estime en effet que 55 % du PIB mondial dépend de la biodiversité, et l’effondrement de certains services rendus par la nature pourrait entraîner une perte annuelle de 2,7 milliards de dollars pour l’économie mondiale d’ici 2030. Les solutions fondées sur la nature ont, quant à elles, des pistes essentielles à nous offrir, notamment pour faire face au réchauffement climatique. Préserver, voire restaurer la biodiversité est donc une nécessité pour le vivant en lui-même, et pour la résilience de notre économie.

La régulation s’intensifie également pour protéger le vivant. La CSRD obligera notamment les entreprises pour lesquelles c’est pertinent à rendre des comptes sur leurs impacts et risques liés à la biodiversité. La loi sur la restauration de la nature doit fixer un cadre réglementaire au niveau européen, pour atteindre les objectifs fixés à la COP15 biodiversité de Kunming-Montréal. En France, c’est la Stratégie nationale biodiversité (SNB) qui doit donner les lignes directrices sur le sujet. On peut encore citer la loi française Zéro artificialisation nette (ZAN), ou encore le règlement européen contre la déforestation (RDUE).

En agissant pour le vivant, les entreprises gèrent aussi leurs risques réputationnels, en particulier auprès de la société civile, et répondent aux attentes des parties prenantes financières, de plus en plus demandeuses de transparence, durabilité et résilience pour investir.

Les objectifs visés par la TNFD

La TNFD a pour principal objectif de développer un cadre commun de reporting volontaire pour renforcer l’évaluation et la transparence sur les opportunités et risques financiers liés au vivant.

Les objectifs spécifiques de la TNFD incluent :

  • Améliorer la transparence: encourager les entreprises à fournir des informations claires et détaillées sur les impacts et dépendances liés à l’érosion de la biodiversité.
  • Intégrer les enjeux écologiques dans la gouvernance: faciliter la prise de décisions éclairées par les conseils d’administration et les dirigeants, en intégrant les enjeux liés à la nature.
  • Réduire les risques financiers: promouvoir une meilleure compréhension et gestion des risques financiers associés à la dégradation des écosystèmes et à la perte de biodiversité, aidant ainsi à stabiliser les marchés financiers face aux crises environnementales.
  • Encourager l’investissement durable: favoriser les décisions d’investissement, de crédit et de souscription d’assurance plus responsables et éclairées, qui tiennent compte des impacts sur le vivant.
  • Réorienter les flux financiers: diriger les investissements vers des projets et des entreprises qui soutiennent la conservation de la biodiversité et la durabilité des écosystèmes.

Comment évaluer et communiquer ses enjeux biodiversité avec la TNFD

Recommandations finales de la TNFD pour le reporting

En septembre 2023, la TNFD a publié la version finale de son cadre de reporting. Elle est le fruit d’un processus de consultation de deux ans. Quatre autres versions avaient successivement été proposées, entre mars 2022 et mars 2023. Des pilotes ont également été lancés auprès de 200 entreprises et institutions financières.

Les recommandations pour la divulgation sont organisées autour de quatre piliers, qui sont ceux de la TCFD : gouvernance, stratégie, gestion des risques et des impacts, et indicateurs et objectifs. Sur les quatorze recommandations, onze sont les mêmes que la TCFD, afin d’encourager l’élaboration de rapports intégrés sur le climat et la nature.

Gouvernance

Il s’agit des processus, contrôles et procédures de gouvernance utilisées par l’organisation pour contrôler et gérer les enjeux liés à la nature.

  1. Décrire la manière dont le conseil d’administration surveille les dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature
  2. Décrire le rôle de la direction dans l’évaluation et la gestion des dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature
  3. Décrire les politiques de droits humains et les activités d’engagement, et la manière dont le conseil d’administration surveille et gère ces questions, dans le respect des peuples autochtones et communautés locales affectées

Stratégie

Cela concerne l’approche utilisée par l’organisation pour gérer les enjeux relatifs à la nature, en lien avec sa stratégie d’entreprise et sa planification financière.

  1. Décrire les dépendances, impacts, risques et opportunités identifiés par l’organisation sur le court, moyen et long terme
  2. Décrire l’impact sur le modèle d’affaire, la chaîne d’approvisionnement, la stratégie et la planification financière, ainsi que sur les plans de transition ou autre analyse
  3. Décrire la résilience de la stratégie et de l’organisation, en prenant en compte différents scénarios
  4. Divulguer la localisation des actifs et des activités dans les opérations directes de l’entreprise et, si possible, dans les chaînes de valeur amont et aval qui répondent aux critères de localisation prioritaire (zone importante pour la biodiversité, zone à forte intégrité des écosystèmes, zone de rapide déclin des écosystèmes, zone à haut risque physique pour l’eau, zone d’importance pour les services écosystémiques)

Gestion des risques et impacts

On s’intéresse ici aux processus utilisés par l’organisation pour identifier, analyser, hiérarchiser et contrôler les enjeux liés à la nature.

  1. Décrire les processus de l’organisation pour identifier, évaluer et prioriser les dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature dans les opérations directes
  1. (bis) Décrire les processus de l’organisation pour identifier, évaluer et prioriser les dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature dans la chaîne de valeur amont et aval
  2. Décrire les processus pour gérer les dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature
  3. Décrire comment ces processus d’identification, d’évaluation, priorisation et de surveillance des risques sont intégrés et informent la gestion générale des risques

Indicateurs et objectifs

Il s’agit des performances de l’organisation sur les enjeux liés à la nature, notamment les progrès réalisés par rapport aux objectifs que l’organisation a fixés, ou qu’elle est tenue d’atteindre en vertu d’une réglementation.

  1. Fournir les indicateurs utilisés par l’organisation pour évaluer et gérer les risques et opportunités liés à la nature en lien avec sa stratégie et le processus de gestion des risques
  2. Fournir les indicateurs utilisés par l’organisation pour évaluer et gérer les dépendances et impacts sur la nature
  3. Décrire les cibles et objectifs utilisés pour gérer les dépendances,

Autres outils proposés par la TNFD

En plus de ces principes fondamentaux pour le reporting, la TNFD propose différents guides et outils complémentaires, afin d’aider les organisations à identifier et analyser leurs enjeux liés à la nature. L’exercice est en effet encore en rodage, alors que la biodiversité est par essence multiple et complexe, et échappe à un indicateur unique semblable aux émissions de CO2 pour le climat.

Tableau récapitulatif des étapes LEAP de la TNFD

La TNFD propose par exemple une méthodologie pour aider à évaluer ses risques liés à l’effondrement de la biodiversité. La méthode LEAP (Localiser, Evaluer, Analyser, Préparer) est composée de quatre étapes :

  1. Localiser: situer les connexions avec la nature, sur les différentes zones géographies, secteurs et chaînes de valeur.
  2. Evaluer: identifier les relations de dépendances et les impacts sur la nature.
  3. Analyser: estimer les risques et opportunités liés au vivant pour l’organisation.
  4. Préparer: prévoir la réponse stratégique et le reporting pour gérer ces risques et opportunités.

La méthodologie LEAP s’appuie sur des cadres et outils existants, tels que le SBTN (Science Based Targets Network) et le Natural Capital Protocol. La TNFD ajoutera des indications complémentaires à ses guides, au fur et à mesure que les cadres et outils sur le sujet évolueront.

La TNFD propose aussi des guides sectoriels (ex. agriculture, chimie, bâtiment, textile, institutions financières), des guides spécifiques à certaines écosystèmes (ex. forêts tropicales et subtropicales, savanes et prairies, systèmes d’usage intensif des terres), des recommandations pour fixer ses objectifs, etc.

Comment se lancer avec la TNFD ?

La TNFD préconise 7 étapes clés pour se lancer dans l’adoption de son cadre de reporting :

  1. Approfondir la compréhension des enjeux liés à la nature : s’assurer que les équipes impliquées ont une solide compréhension des fondamentaux de la nature et de ses enjeux économiques et financiers. Cela inclut la biodiversité, les services écosystémiques, et les concepts de dépendances, impacts, risques et opportunités liés à la nature.
  2. Obtenir l’adhésion du conseil d’administration et de la direction: démontrer la valeur économique et financière de la nature pour gagner le soutien des dirigeants. Cet argumentaire peut s’appuyer sur la gestion des risques, les opportunités commerciales, et la viabilité à long terme des modèles d’affaires.
  3. Commencer avec l’existant: identifier les données et les processus déjà en place qui peuvent être adaptés pour répondre aux recommandations de la TNFD. Beaucoup d’organisations découvrent qu’elles possèdent déjà une quantité significative de données liées à la nature.
  4. Prévoir une progression dans le temps: établir un plan pour augmenter progressivement la portée et la profondeur des divulgations alignées avec la TNFD. Communiquer ce plan et son approche a pour but de gérer les attentes des parties prenantes.
  5. Encourager le progrès collectif : encourager ses parties prenantes à adopter et divulguer des informations alignées sur la nature. C’est particulièrement important pour les institutions financières et les grandes entreprises multinationales, dont les impacts matériels se situent souvent dans leurs chaînes de valeur.
  6. Suivre et évaluer les progrès: mettre en place un processus pour surveiller et évaluer régulièrement les progrès réalisés dans l’adoption des recommandations de la TNFD. Utiliser des tableaux de bord facilite le suivi des enjeux liés à la nature, les intérêts des investisseurs et des régulateurs, ainsi que les progrès internes.
  7. Enregistrer l’intention d’adopter le cadre TNFD : devenir un « TNFD Adopter » enregistre publiquement l’intention d’une organisation d’intégrer les recommandations de la TNFD dans ses rapports financiers.
Illusrtation Taskforce on nature-related financial disclosure

Pour aller plus loin

TNFD, TCFD, CSRD, SBTN, quelles différences ?

La TNFD travaille avec différents organismes pour intégrer ou s’aligner au mieux avec les normes, cadres et réglementations existants. Voici quelques distinctions clés pour s’y retrouver :

  • TNFD (Task Force on Nature-related Financial Disclosures) : c’est un cadre de reporting volontaire, qui vise à divulguer les opportunités et risques financiers liés à la nature.
  • TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) : c’est le pendant de la TNFD sur les enjeux climat. Il s’agit donc d’un cadre de reporting volontaire, qui vise à divulguer les opportunités et risques financiers liés au changement climatique.
  • CSRD(Corporate Sustainability Reporting Directive) : c’est une réglementation, qui encadre le reporting extra-financier des entreprises européennes. Il s’agit donc d’une obligation pour les entreprises assujetties, qui doivent rendre compte de leurs dépendances, impacts, risques et opportunités pour tous les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance pertinents au vu de leur activité. L’ESRS E4 est dédié à la biodiversité et aux écosystèmes.
  • SBTN (Science Based Targets Network) : il s’agit d’une méthodologie volontaire, qui permet aux entreprises de fixer des objectifs basés sur la science, pour réduire leur impact sur la nature.

La TNFD peut donner une méthode aux entreprises pour se mettre en chemin sur les enjeux liés à nature, et les aider à répondre aux exigences réglementaires de la CSRD. Les périmètres sont aujourd’hui un peu différents : la TNFD couvre par exemple un champ plus large que la biodiversité, mais se concentre sur les risques et opportunités. La TNFD et l’EFRAG, organisme en charge de la CSRD, travaillent donc ensemble pour renforcer l’alignement de leurs approches.

C’est également le cas avec l’ISSB (International Sustainability Standards Board) et le GRI (Global Reporting Initiative), deux grands organismes de normalisation concernant le reporting extra-financier des entreprises. Enfin, les recommandations de la TNFD sont alignées sur les objectifs de l’accord de Kunming-Montréal, établi à la COP15 biodiversité.

Limites de la TNFD

La TNFD fait l’objet de critiques sur son ambiguïté au sujet de la double matérialité. Des ONG et experts lui reprochent, malgré certains termes employés, de se concentrer sur la matérialité financière, et donc de ne pas suffisamment prendre en compte les impacts des activités économiques sur la nature.

Une coalition d’ONG a déposé une plainte auprès du PNUE en novembre 2024, pour remonter notamment ce grief. Elle reproche également une gouvernance en cercle fermé et les failles de la méthodologie pour entraîner un changement probant du comportement des entreprises. Ainsi, les ONG souhaiteraient des mesures plus contraignantes et une approche plus globale, afin de transformer les pratiques des entreprises et d’inverser la tendance de dégradation de la nature.

 

En résumé

 

La TNFD propose un cadre pour aider les entreprises à identifier et divulguer les risques et opportunités que représente la crise du vivant pour leur activité. En collaboration avec plusieurs autres initiatives, la TNFD vise à orienter les flux financiers vers des activités durables, contribuant ainsi à la protection des écosystèmes et à la gestion des risques financiers liés à la nature.

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