La santé, grande oubliée des stratégies économie circulaire ?

Économie circulaire des matériaux et santé sont intrinsèquement liés, a fortiori lorsqu’on parle de plastique. Pour lutter efficacement contre les pollutions, il faut désormais intégrer la question des substances chimiques dans les stratégies circulaires

 

par Lucie Echaniz et Stefan Bachevillier

Schéma des dépassements de limite planétaire chimique

Nouvelle limite planétaire franchie

Début mars, la cinquième assemblée du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) s’est clôturée à Nairobi avec l’approbation d’une résolution qualifiée par sa directrice exécutive comme « l’accord environnemental le plus important depuis l’Accord de Paris ». Les représentants de plus de 170 nations se sont engagés à élaborer un traité international juridiquement contraignant d’ici 2024, afin de combattre la pollution plastique. Les mesures doivent concerner tout le cycle de vie : de la production à la gestion des déchets, en passant par l’éco-conception.

Cette annonce résonne avec un autre événement récent : la preuve du dépassement d’une cinquième limite* assurant la stabilité du système Terre. Après le changement climatique ou l’érosion de la biodiversité, nous avons en effet franchi le seuil planétaire relatif à la pollution chimique. L’introduction « d’entités nouvelles » dans l’environnement a été multipliée par 50 depuis 1950, provenant notamment des pesticides, des antibiotiques, des produits chimiques industriels… et des plastiques. Pour ces derniers, les conséquences sur les écosystèmes et la santé humaine sont désormais bien documentés : pollution des milieux naturels, ingestion par les animaux, et pollution liée aux substances libérées.

Sous la pression de la société civile et des évolutions réglementaires, de plus en plus d’entreprises et collectivités enclenchent des démarches économie circulaire ou « bas plastique ». En parallèle, elles sont toujours plus nombreuses à s’attaquer aux « substances indésirables », cherchant à éliminer les bisphénols et autres phtalates de leurs produits et services. Pourtant, rares sont les acteurs qui rapprochent les deux enjeux, alors que la circularité des matériaux et la toxicité des substances contenues dans ceux-ci sont indissociables.

Crédit image : Azote pour Stockholm Resilience Centre, depuis Persson et al 2022 et Steffen et al 2015

* Pollution chimique : une cinquième limite planétaire vient d’être franchie – Novethic

Santé et circularité sont indissociables

Remettre en question les usages et réduire les volumes des matériaux utilisés est bien sûr un prérequis. Automatiquement, cela participera à diminuer les pollutions pour les écosystèmes et la santé humaine. Afin de limiter l’extraction de ressources, il est ensuite urgent de développer l’économie circulaire. L’OCDE publiait le 22 février un rapport constatant que seuls 9 % des déchets plastiques sont recyclés dans le monde. Or une composition chimique irréprochable est indispensable pour réemployer ou recycler sans engendrer au passage des boucles d’exposition chimique. En effet, le fait de mélanger des plastiques de différentes familles et de différentes applications (emballages alimentaires, jouets, enveloppe plastique d’appareils électroniques, etc.) entraîne aussi un mélange des additifs indésirables qui s’y trouvent, faisant apparaître des risques sanitaires conséquents dans les plastiques recyclés.

En plein développement, le recyclage chimique espère offrir une meilleure circularité des plastiques, même s’il n’arrêtera pas totalement le besoin de plastique vierge dans le processus de recyclage. Il pourrait permettre de traiter des déchets plus variés, tout en garantissant de « nouveaux » matériaux aussi propres que les vierges. Toutefois, ses gains environnementaux et sanitaires sont à étudier finement.

En attendant le perfectionnement et l’encadrement réglementaire de ces technologies, les acteurs économiques doivent se charger d’intégrer les aspects toxicité et santé, pour pouvoir boucler la boucle. En évaluant les substances et compositions des produits par le danger, et non par le risque, et en supprimant ces substances pour lesquelles des alertes émergent (perturbateurs endocriniens, cancérigène potentiel, etc.), ils réduiront l’impact chimique sur l’ensemble du cycle de vie primaire, lors des cycles suivants s’il y a recyclage, et lors de la fin de vie, souhaitée ou non, dans l’environnement. Considérée comme la réglementation la plus poussée en la matière, REACH a encore environ 80 % de substances non évaluées, malgré ses 10 années d’existence. Plus qu’une approche par le danger, il faudrait donc tendre vers une politique « sobriété substance » pour éviter de futures déconvenues et réduire son empreinte chimique globale.

L’enjeu est aussi économique. Quitte à modifier ses pratiques, autant s’assurer que les orientations resteront valables à long-terme. Ainsi, une collectivité qui souhaite remplacer ses barquettes de cantines en plastique doit s’assurer de la cohérence de son choix, au-delà de l’enjeu des déchets. Si elle opte pour des contenants mieux disant environnementalement, mais toujours avec des risques sanitaires tel que le plastique recyclé, les parents d’élèves ou la législation pourraient la rattraper dans quelques années et lui reprocher un usage finalement impropre au contact alimentaire, en raison des substances présentes. Mieux vaudrait cuisiner sur place ou utiliser directement des contenants en verre ou en inox.

Photo de déchets plastiques dans un filet de pêche bleu

Anticiper avec une vision multi-impact

L’étau des cadres internationaux et nationaux se resserre de toute façon. Les industriels, producteurs de biens de consommations, distributeurs, mais aussi les territoires doivent anticiper et élargir le périmètre de leurs feuilles de route environnementales, en incluant les grands principes de l’économie circulaire, mais aussi l’impact chimique de leurs activités. L’accord de l’UNEP accentuera la pression. La taxonomie verte européenne, qui classifie les pans de l’économie considérés comme durables, promeut déjà une vision multi-impact. Pour être considérée comme verte, une activité contribuant à la transition vers une économie circulaire ne peut, par exemple, causer de dommage à l’objectif de contrôle et prévention des pollutions.

Il est temps que les entreprises et collectivités connaissent précisément leurs matériaux, les substances contenues, et l’empreinte associée. Elles pourront alors déterminer des objectifs et plans d’actions pour fixer une trajectoire plus vertueuse, voire régénératrice pour la planète. Combiner stratégie « zéro substance préoccupante » et stratégie « bas plastique », c’est agir directement pour atténuer les impacts multiples et interdépendants sur la santé, la biodiversité, les ressources, le climat…

La cinquième limite planétaire est pour l’instant difficilement quantifiable, mais les scientifiques travaillent à cela : demain, pourra-t-on définir une trajectoire Science Based Target sur la pollution chimique, comme elle existe déjà pour les gaz à effet de serre ?

Pour aller plus loin…